Nous avons tous entendu parler, lors de nos formations, des risques liés aux plongées dites « à profil inversé ». Je ne sais pas pour vous, mais je suis resté personnellement un peu sur ma faim quant au « pourquoi » de la dangerosité de ce type de plongée. Après quelques farfouilles sur la toile, je vous livre un résumé de ce que j’ai pu y glaner (les références sont en fin d’article).
1) Un profil inversé : Késako ???
Il existe deux types de profils inversés.
Le premier concerne les plongées unitaires. C’est celui où la profondeur maximum est atteinte en fin de plongée et est suivie de la remontée en surface.
Le second type concerne les plongées successives. C’est celui où la deuxième plongée est significativement plus profonde que la première.
2) Pourquoi un profil inversé est dangereux ?
Un certain nombre d’approches pourrait faire douter de la « non dangerosité » de ces profils. Principe de précaution oblige, si la non-dangerosité n’est pas démontrée, il vaut donc mieux considérer que c’est dangereux.
=> Approche historique
Les tables, qu’elles soient françaises ou américaines, ont toujours été testées avec des profils du plus profond vers le moins profond. Les premiers logiciels pour ordinateurs de plongée ont été élaborés à partir des tables US Navy (donc du plus profond au moins profond).
Dans les domaines militaires et professionnels, qui ont seuls les moyens de faire des études poussées, les profils inversés ne sont pas étudiés car ce n'est pas vraiment un besoin pour eux.
=> Approche par le calcul (tables MN90)
On prend un tissu 20’ initialement saturé à l’air et à pression atmosphérique, et on calcule sa charge théorique en azote à la suite de 2 immersions (profil normal et profil inversé)
1er cas (profil normal) : On l’immerge à 40m pendant 20’, puis à 20m pendant aussi 20’.
Le compartiment 20mn est saturé à pression atmosphérique donc la tension d'azote dissout dans notre compartiment est de 1 bar x 80% = 0,8 bar.
On descend ce compartiment a 40m, la pression absolue qui y règne est de 5 bars donc la pression partielle d'azote du gaz respiré (de l'air) est de 5 x 0,8 = 4,0 bars
Notre compartiment reste à 40m pendant 20mn. Ce temps est égal à la période du compartiment donc la tension d'azote dissout va augmenter jusqu'a atteindre la moitié du gradient qui sépare la tension initiale de N2 et la PPN2 a 40m. Donc la tension finale est de:
TN2 = 0.8 + (4 - 0.8)/2 = 2,4 bars
Apres ces 20mn, le compartiment est remonté à 20m. La pression absolue qui y règne est de 3 bars donc la PPN2 = 3 x 0,8 = 2,4 bars
La tension de notre compartiment est déjà de 2,4 bars donc elle ne variera pas. Elle sera donc encore de 2,4 bars après les 20mn de séjour à -20m.
Donc TN2 au début de remontée finale = 2,4 bars
2è cas (profil inversé) : On l’immerge à 20m pendant 20’, puis à 40m pendant 20’.
TN2 initiale = 0,8 bars
PPN2 a 20m = 3 x 0,8 - 2,4 bars
TN2 après 20mn à 20m = 0,8 + (2,4 - 0,8)/2 = 1,6 bars
PPN2 a 40m = 5 x 0,8 - 4,0 bars
TN2 après 20mn à 40m = 1,6 + (4,0 - 1,6)/2 = 2,8 bars
Donc TN2 au début de remontée finale = 2,8 bars
D’après cet exemple (très théorique), un profil inversé serait plus saturant sur certains tissus / compartiments.
=> Approche des modèles de saturation « à bulles »
Dans les modèles "à bulles ", type VPM ou RGBM, on considère qu'une augmentation de la pression "active" un certain nombre de noyaux gazeux (micro-bulles n'ayant pas spontanément tendance à se dilater lors de la remontée). On sait aussi que lors de la descente, au cours d'une deuxième plongée, les bulles résiduelles (présentes de manière "silencieuse" après la première plongée), vont voir leur taille diminuer du fait de l'augmentation de pression.
C'est là que tout se complique, car il se produit (peut-être ?) simultanément plusieurs choses dont on ne sait pas bien mesurer, ni même modéliser, les conséquences : d'une part, les bulles captives du filtre pulmonaire peuvent, en voyant leur taille réduite, passer dans la circulation gauche (cerveau, organes, muscles), avec les conséquences que l'on sait, mais aussi, de nouveaux noyaux sont activés, donc le nombre de bulles circulantes augmente, mais et c'est la que ça se corse, certains auteurs prétendent que des bulles peuvent être réduites en deçà de la taille critique (*) et être "écrasées" (crushed) et donc inactivées ; ce qui tendrait à diminuer, dans une certaine mesure, le nombre de bulles circulantes susceptibles de générer, à la remontée, des effets indésirables.
On a donc, des effets (supposés) qui se contrarient et au bout du compte on ne sait pas quoi conclure ...
(*) On parle de "rayon d'excitation" de la bulle. En dessous de ce rayon d'excitation la bulle n'est pas soumise à la loi de Boyle, les forces de tension superficielles dépassant les forces de pression tendant à provoquer son expansion
3) Oui mais zalors ???
En fin de compte, on n’a que très peu de certitudes.
Les seules études réalisées ne concernent que des profils inversés pour des plongées successives très ciblées.
« Hamilton et Thalmann indiquent à ce sujet : aucune preuve convaincante n’a montré que les profils inversés en plongée sans décompression entraînent une augmentation des risques d’accidents de décompression […] pour les plongées sans décompression à moins de 40 mètres et dont le différentiel de profondeur est inférieur à 12 mètres (Hamilton R.W et Thalmann E.D., Decompression Practice dans Bennet et Elliot’s Physiology and medecine of diving, 2003, p. 474). »
4) En conclusion
Je laisserai le mot de la fin à Alain Foret (auteur des Plongée Plaisir)
« Analyse technique
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1) On ne peut pas écrire que c'est "dangereux" (contrairement aux profils Yo-Yo ou aux remontées rapides dont la dangerosité est prouvée), mais plutôt que c'est "déconseillé" car on ne sait pas modéliser la chose. A ce jour, aucun modèle de décompression n'a utilisé une base de données avec "profils inversés" pour valider le modèle. C'est donc "hors modèle".
2) On ne peut pas chercher d'explication par les modèles actuels : le cas n'est tout simplement pas prévu.
3) Le discours disant que les profils inversés étaient "interdits" va sans doute trop loin. Disons plutôt que l'on entre dans une zone qui sort du cadre des modèles de décompression, tous confondus, sans exception.
Analyse en terme de responsabilité
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4) Un directeur de plongée ou un guide de palanquée (et à fortiori un organisme d'enseignement de la plongée par ses écrits, livres etc.) prend un risque juridique à indiquer que ces profils ne sont pas à risque puisque rien (à par l'étude citée ci-dessus pour certains profils) ne permet de le dire. De même, c'est certain que rien ne permet de prétendre le contraire. Il faut donc être prudent dans les consignes officielles.
Cette réponse, bien qu'elle n'apporte pas de réponse précise, "ne botte pas en touche". Je crois dangereux de vouloir à tout prix tout expliquer, quand bien même on n'aurait pas d'explication. Je crois, sur le point des profils inversés, qu'il faut être capable de dépasser "la volonté de certitude" enfouie en chacun de nous pour admettre qu'on ne sait pas grand chose à ce sujet, et que l'ignorance implique la prudence. »
5) Ma conclusion
En fin de compte, on ne sait rien de probant quant à la dangerosité, ou non, des profils inversés (hors profils du §3). Alors, à moins d’être joueur, ou de souhaiter faire évoluer la science en risquant peut-être sa vie, la plus élémentaire prudence consiste à s’auto-interdire ce type de profil.
Sources
- Plongée Plaisir fiche 84 : Enseigner la théorie
- http://www.plongee-plaisir.com/fr/pdf/ppm_fiche84_extrait.pdf
- Archives du groupe usenet « Fr.Rec.Plongee »
- http://fr.rec.plongee.narkive.com/65qmfdv0/plongee-inverse
- http://fr.rec.plongee.narkive.com/f6IIcc22/profils-inverses-bis
- Publications DAN Europe
- http://www.daneurope.org/web/guest/publications